Le vêtement… interface entre la personne et le monde

Tribune de Genève
On en parle

Ne dit-on pas «A quelque chose malheur est bon»? Nul n’osera remercier ceux qui ont volé la remorque de Nathalie Egea en 2010, mais le triste événement a constitué «un réel tournant» dans la vie de la créatrice. «Elle contenait tout mon stock. C’était à quelques semaines du marché de Noël de Carouge où je faisais le gros de mon chiffre d’affaires annuel, se souvient-elle. J’ai tout perdu. Mais c’est à ce moment que je me suis dit: lance-toi.» Depuis, l’importatrice de soie a quitté son stand «entre les salades et les choux-fleurs» du marché de Carouge. On l’aperçoit dans les galeries branchées de la ville au contact de cette tribu qu’on nomme «les créateurs». Le milieu a changé, mais la fibre reste la même. «La soie a une aura magique. Elle tient chaud quand il fait froid et rafraîchit quand il fait chaud. J’aime sa manière de grincer et d’absorber la lumière. Vous savez, je parle à mes tissus», dit-elle dans un grand éclat de rire.

Faiseuse de style à 50%
Comment peut-on tomber amoureux d’une étoffe? A 20 ans, après «une adolescence pas rebelle du tout», la jeune fille décide de s’aventurer à Calcutta, en Inde. Le choc est brutal. Quelques heures, ou presque, après son arrivée sur le tarmac, l’aventurière tombe malade et se déshydrate au point de devoir être rapatriée en Suisse sur une chaise roulante.
«En rentrant, je me suis dit: je ne me laisserai pas faire. Alors j’y suis retournée.» Lors de ses multiples allers-retours, elle découvre ces tissus capables d’exalter sa créativité. Et une femme – fait rare dans ce pays patriarcal – aux commandes d’une soierie.
Pendant huit ans, Nathalie Egea va vendre ses tissus au mètre sur les étales carougeois. En parallèle, elle crée des collections dans une relative discrétion. Jusqu’à ce mois de novembre 2010 et à cette remorque emportée, à l’origine du revirement de carrière.
Aujourd’hui, Nathalie Egea est donc passée du statut de vendeuse ambulante à celui de styliste confirmée. Un grand
pas pour celle qui n’a pas emprunté le chemin classique des créateurs, à savoir la Haute Ecole d’art et de design (HEAD).
«A vrai dire, j’ai toujours cousu, mais il m’a fallu du temps avant d’oser proposer les choses que je fabrique», raconte cette mère de famille trentenaire. Dans l’atelier qu’elle a créé à son domicile de Croix-de-Rozon,
entre les kilomètres de soie, de futures mariées exigeantes ou des clients en quête de «conseils en image» se
succèdent. Car la styliste consacre la moitié de son temps à «relooker» ceux qui en ressentent le besoin. «Il y a l’homme qui a perdu 75 kilos après la pose d’un bypass ou la femme qui souhaite se réinventer après trente ans de mariage», explique-t-elle. Et qu’on ne vienne pas lui dire que l’activité est futile ou artificielle. «Le
vêtement est une expérience sensuelle, l’interface entre la personne et le monde.
C’est une question d’identité», assure t-elle. Mais Nathalie Egea ne sacrifiera pas la douceur de la soie. Elle est (encore) la matière première de sa troisième collection.
Une cuvée particulière. «Cette fois, c’est juste pour l’expression. Je me radicalise dans la création, je travaille comme un artiste travaille son tableau», lance la styliste. Comprenez: vous aurez du mal à porter ses créations chez votre belle-mère après la messe du dimanche.

Hommage aux femmes
Pour mettre en valeur tout cela, un film est en préparation. Elle compte alors sur une plateforme de crowdfunding (financement par les internautes) afin de mobiliser les sommes nécessaires. Quel que soit le résultat, l’expérience est nouvelle et sert un combat qui lui tient à cœur. «Je voulais créer une image porteuse pour ces femmes libres et courageuses. C’est mon moyen de dire: «Soyez fières Mesdames!»

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